La loi de 1905
Conformément à l’esprit de la loi de 1905, la laïcité est un principe d’impartialité, d’indépendance et de neutralité des institutions publiques face à la religion. Cette loi de séparation de l’Église et de l’État garantit également la liberté de conscience de toutes et de tous. Dans le champ de l’éducation, c’est cette loi qui garantit que les enseignements soient menés hors de toute contrainte religieuse.
Pour SUD éducation, c’est ce principe de laïcité et d’égalité qui doit sous-tendre toutes les réformes et décrets concernant la religion dans l’éducation nationale et ailleurs.
Or, force est de constater que depuis plusieurs années, toutes les religions ne sont pas logées à la même enseigne. Alors que la stricte séparation entre le christianisme et les institutions publiques est loin d’être respectée, l’islam est aujourd’hui stigmatisé par l’institution scolaire dans un contexte montée en puissance du racisme.
Alors que les cultes et les églises ne sont plus financés par des fonds publics depuis le début du XXe siècle, les établissements scolaires confessionnels sous contrat continuent de recevoir les subventions de l’État pour 73% de leur budget. Les lois Debré (1959) et Carle (2009) trahissent la loi de 1905 en faisant assumer à l’État et aux collectivités territoriales les salaires des enseignant·es du privé et de multiples financements. Pourtant, les établissements privés sont très largement responsables de la ségrégation sociale.
Par ailleurs, dans les établissements scolaires publics de la maternelle au lycée, les entorses à cette loi de séparation des églises et de l’état sont manifestes :
- une persistance des rituels d’inspiration et de tradition chrétienne au sein même des établissements
- des examens nationaux tenus dans des établissements confessionnels, dans des salles où
apparaissent des signes religieux
- une année scolaire calquée sur le calendrier religieux chrétien (dates, certains noms)
La loi de 2004 fait suite à l’arrivée pour la première fois d’un candidat de l’extrême droite au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002. Cette loi est un tournant dans la législation : tout à coup, la laïcité s'applique aux usagers et usagères du service public . Cette loi de 2004 met en œuvre une idéologie néolaïque qui est en rupture avec l'esprit de la loi de 1905 et le principe de laïcité. Elle ouvre la porte à une extension sans borne de la restriction de la liberté de culte. Elle discrimine les élèves musulman·es ou supposé·es musulman·es et déroge au principe d’impartialité et de neutralité des fonctionnaires vis à vis des élèves par rapport à leurs religions.
À l’heure où les idées racistes et islamophobes sont largement répandues, il est important de rappeler nos ambitions d’une école émancipatrice et égalitaire, ouverte à tou·tes sans distinctions de genre, d’origine, de religion et de milieu social.
Laïcité, islamophobie, racisme d’État : définitions
Laïcité : séparation du pouvoir politique et des autorités religieuses reposant sur l’articulation de plusieurs principes : la liberté de conscience et la liberté de culte dans le respect de l’ordre public, ; l’égalité des citoyen·nes devant la loi sans considération de religion et de conviction ; la séparation du pouvoir politique et des autorités religieuses .
Racisme d’État : le racisme n'est pas seulement un phénomène individuel : c'est un système de domination, d'oppression et d'exploitation dans lequel l’État et ses différentes institutions jouent un rôle structurant, en mettant en place des politiques discriminatoires, en cautionnant des pratiques ou en s’abstenant d’agir pour lutter contre les discriminations. La lutte contre le racisme ne doit donc pas être un combat purement moral, c'est une lutte politique.
Islamophobie : l’islamophobie désigne l’oppression et la discrimination systémiques des personnes en raison de leur appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane.
C’est une forme de racisme structurel et culturel, qui débouche sur des peurs, des représentations dégradantes, des discriminations et des violences verbales ou physiques. L'islamophobie est aujourd'hui une composante majeure du racisme d’État. L'islamophobie est reconnue par les organisations internationales dont l'ONU.
Les origines de l'islamophobie
L'époque coloniale est l'une des matrices fondamentales de l'islamophobie française. À la fois jugé comme principal obstacle à la colonisation, mais aussi perçu comme le rappel des conquêtes et de la vision belliciste des croisades, l'islam est rapidement essentialisé comme une religion ennemie, rétrograde, violente et dangereuse.
Les institutions coloniales françaises structurent la nécessité de contrôler l'islam, envisagé comme un système idéologique plutôt qu'une religion, pour assurer le succès du système colonial et l'expansion de l'Empire, notamment en Algérie. L'islam est depuis cette époque considéré comme une menace pour les institutions françaises et comme un ennemi de l’intérieur.
À l'instar de beaucoup de conquêtes coloniales, la conquête du Maghreb et plus particulièrement celle de l'Algérie par les colons français fonde sa légitimité par la mission civilisatrice des "indigènes".
À la fin du XIXe siècle émerge une littérature savante qui justifie la soumission des "indigènes"au pouvoir colonial, et en particulier des femmes musulmanes instrumentalisées pour atteindre les hommes et pour asseoir la domination coloniale,. Ainsi, Ernest Renan, académicien considéré comme un homme de science et un grand politique, défend dans ses écrits l'infériorité des musulmanes, la dangerosité essentielle de l'islam et son hostilité à la raison et au savoir.
Cette littérature dite élitiste va infuser longtemps dans la société française et être vulgarisée pour être étendue à un lectorat plus large. Elle est institutionnalisée comme un savoir dans les manuels scolaires de la IIIe République. Cette rhétorique savante est encore bien vivante aujourd'hui à travers des hommes et des femmes politiques ou des éditorialistes politiques qui l'utilisent comme une référence académique acceptable pour justifier leur islamophobie.
Plus tard, durant la guerre d'Algérie, des militaires spécialistes de la guerre psychologique incitaient les femmes musulmanes à rejeter le voile en organisant des cérémonies de dévoilement sur place publique. L'obsession française pour le voile est largement issue de son histoire coloniale.
Il existe une continuité entre le sexisme et le racisme des colons français et les discriminations qui frappent actuellement les femmes et les hommes issu·es de l'immigration postcoloniale.
Instrumentalisation sexiste et raciste du féminisme
La loi de 2004 est également une loi sexiste, défendue par des figures politiques et intellectuelles qui ont instrumentalisé la lutte pour les droits des femmes à des fins racistes.
Si la loi de 2004 étend en principe l’interdiction des signes religieux à l’ensemble des élèves sans distinction de genre ou de religion, son objectif principal était de déterminer la manière dont les filles, spécifiquement musulmanes, pouvaient s’habiller à l’école. En décrétant comment les filles peuvent s’habiller, l’État s’inscrit dans la tradition patriarcale du contrôle du corps des femmes et des filles. La loi de 2004 est l’une des multiples injonctions vestimentaires que fait peser le ministère de l’Éducation nationale sur les filles.
En septembre 2023, la circulaire Attal impose une nouvelle interdiction, celle de la robe longue. Comment déterminer la signification religieuse d’un voile ? Comment faire la différence entre une robe longue autorisée et une robe longue interdite si ce n’est en fonction de celle ou de celui qui la porte ? Jugées trop couvertes pour la loi de 2004, les filles seront considérées comme trop dévêtues quand elles décideront de porter d’autres vêtements. Ces injonctions sont des violences de genre qui pointent du doigt nos élèves et les stigmatisent en reproduisant des stéréotypes sexistes, racistes et coloniaux. Il faut apprendre aux filles que leur corps leur appartient et que leurs choix vestimentaires ne doivent faire l’objet d’aucune contrainte : ce ne sont ni des menaces ni des invitations.
Par cette loi, les élèves portant le foulard ou le voile sont des victimes permanentes d’une suspicion. Elles sont soit considérées comme des victimes soumises aux injonctions religieuses, soit déclarées coupables et complices d’une idéologie religieuse radicale. Cette loi constitue une instrumentalisation à des fins nationalistes et islamophobes de la lutte pour les droits des femmes . C’est ce qu’on appelle le fémonationalisme, qui accompagne la montée du racisme et du fascisme et impose sa lecture identitaire. La lutte des femmes contre toutes les formes d'oppression patriarcale ne peut être brandie pour en opprimer d’autres. La loi de 2004 témoigne du succès d’une partie du féminisme universaliste, qui invisibilise les différences entre les femmes, oubliant notamment les femmes racisées.
Des enfants nié·es dans leur capacité de réflexion
L'article L 141-2du Code de l'éducation stipule que « l'État assure aux enfants et adolescents dans les établissements publics d'enseignement la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes dans un égal respect de toutes les croyances".
Tout enfant a droit à l’éducation quelle que soit sa religion. Tout enfant a le droit d’être et de sentir pleinement inclus dans le système éducatif sans qu’un regard suspicieux ou non neutre soit posé sur lui. Des lois qui visent à marginaliser certain·es élèves musulman·es ou supposé·es musulman·es vont à l’encontre de ce droit fondamental sous prétexte de lutter pour l’émancipation des élèves et contre l’obscurantisme religieux. La loi de 2004, et les décrets qui en découlent, transforment la laïcité en un principe qui exclut les élèves musulman·es ou supposé·es tel·les. Elle interdit l'accès aux établissements scolaires et à tous établissements publics dans le cadre scolaire (remise de diplômes, cérémonies officielles) à des élèves. Elle vise principalement les élèves musulmanes ou supposées telles. Comment peuvent-elles se sentir pleinement incluses si la suspicion qui pèse sur elles amènent les adultes à scruter même la taille, la forme et la couleur de leurs habits, à mesurer la taille d’un bandeau sur les cheveux ?
Tout enfant a le droit à la liberté d’expression, y compris sur le sujet des valeurs républicaines. La laïcité, en particulier, ne peut être un catéchisme républicain : elle doit se vivre en classe, être inclusive et questionnée, discutée, appropriée par les élèves. Cela ne peut que passer par l’acceptation des désaccords, sans stigmatisation, et en faisant confiance au professionnalisme des enseignant·es pour expliciter les notions. Les signalements abusifs et répressifs de paroles d’élèves vont à l’encontre de ce droit et participent à une criminalisation de leur discours qui les amène à se censurer, ce qui empêche un véritable enseignement de ces notions.
Les élèves sont ainsi nié·es dans leur capacité de réflexion. Or la liberté d’expression est une nécessité pédagogique en plus d’être un droit fondamental.
La loi de 2004 : un cadre abusif de légitimation des violences islamophobes dans l’éducation nationale et l'enseignement supérieur
Imposer l’interdiction du port du foulard ou de la robe longue revient à réduire les élèves au silence, ce qui est contradictoire avec leur liberté de conscience et d’expression, voire à les invisibiliser.
- A l’école, les mères d'élèves portant le foulard sont exposées à de nombreuses offensives islamophobes. Quant aux enfants de familles musulmanes ou supposées l’être, leurs actes sont systématiquement passés au crible de la laïcité et entachés de soupçon. On a ainsi vu la mairie de Nice et les médias locaux s’émouvoir en 2023 de la radicalisation d’élèves de 8 ans, signalé·es pour s’être amusé·es à faire des prières dans la cour ! On imagine le traumatisme et la violence symbolique que représente cet acharnement sur ces enfants, et la perte de confiance en l’école publique qu'il peut engendrer. La question des repas à la cantine constitue elle aussi un véritable enjeu.
- Dans les lycées et les collèges, les assistant·es d’éducation sont en première ligne de la mise en application de cette politique répressive. On leur demande de contrôler que les élèves musulmanes ou supposées telles enlèvent bien leur abaya et robe longue, de vérifier qu’elles ne mettent pas leur capuche, de refuser l’entrée à des élèves qui portent le foulard ou une tenue supposée religieuse, parfois même de contrôler la taille des bandeaux et des jupes des élèves. Ces pratiques, impulsées par des chef·fes d’établissement, sont légitimées par les circulaires des ministres Ndiaye et Attal. Et lorsque les AED protestent contre les dérives racistes et islamophobes, en se mettant en grève ou en affichant leur désaccord, ils et elles sont sanctionné·es, licencié·es ou a minima non-renouvelé·es, comme ce fut le cas au lycée Victor Hugo à Marseille.
- Dans le supérieur, l’enquête nationale Acadiscri de 2022 sur les questions de discriminations, racisme et sexisme à l'université, montre que, parmi le faible taux de participant·es,12,3 % des étudiant·es qui se disent perçu·es comme musulman·es affirment avoir subi des faits racistes, notamment en raison du port du foulard, en cours comme face à l’administration. L’enquête "islamophobie et discrimination à l’université", menée par l’association des étudiants musulmans de France en 2022, établit que les discriminations à caractère racial ou islamophobe ont eu une conséquence directe sur la scolarité de 35% des répondant·es et des répercussions sur le plan psychologique et mental pour 38%, sans pouvoir les porter devant une cellule de veille et d’écoute puisque la moitié des universités n’en disposent pas.
Face aux appels récurrents de la droite et de l’extrême droite françaises à interdire le port du voile à l’université, il convient de rappeler que celle-ci ne vit que par les échanges internationaux, l’accueil de chercheur·es étranger·es, la confrontation libre des idées. Une des conditions en est le respect strict de la laïcité au sens de la loi de 1905. La liberté qu’ont aujourd’hui les femmes de porter ou ne pas porter le voile à l’université, en France comme dans la majorité des universités dans le monde, doit être défendue sans réserve. Les accusations qu’ont fait porter Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal sur les prétendus « ravages à l’université » de l’« islamo-gauchisme » témoignent d’une volonté inédite de contrôler la production de savoirs et de pensée.
SUD éducation revendique :
➜ une école publique réellement émancipatrice et ouverte à tou·tes qui ne discrimine pas,
ne domine pas et ne stigmatise pas ;
➜ l'abrogation de la loi 2004 ;
➜ l'abrogation de toutes les lois et circulaires islamophobes ;
➜ la fin de l'interdiction des robes longues dans les établissements scolaires ;
➜ la fin des convocations et des sanctions abusives d’élèves accusé·es d’enfreindre la
laïcité ;
➜ la réintégration des personnels mis·es à pied ou licencié·es abusivement pour avoir
protesté contre l'islamophobie dans l’Éducation nationale ;
➜ la fin du financement de l’école privée par l’État et le transfert des personnels dans le
public