Défendons nos étudiant·e·s et dénonçons l’asymétrie de traitement de notre institution face à la guerre en cours contre le peuple palestinien
Nous, salarié·e·s de Sciences Po, exprimons notre profonde inquiétude vis-à-vis de la position de la direction de l'école à la suite de la mobilisation étudiante du 12 mars et plus largement la communication institutionnelle depuis le 8 octobre.
Nous travaillons quotidiennement auprès de nos communautés de recherche, enseignantes et étudiantes venues du monde entier et sommes attaché·e·s à l’autonomie des universités et à la liberté académique.
Le mardi 12 mars, dans le cadre d’une journée européenne de mobilisation académique contre la colonisation en Palestine, des étudiant·e·s se sont mobilisé·e·s en occupant l'amphithéâtre Boutmy afin d’y ouvrir un espace de dialogue autour de la Palestine, avec plusieurs interventions de chercheurs et chercheuses ainsi que le témoignage d’un rescapé des massacres se déroulant dans la bande de Gaza, réfugié en Égypte.
L'occupation de lieux d'enseignement de façon spontanée et non autorisée est une forme de mobilisation étudiante qui est loin d’être inédite. Nos étudiant·e·s n'y ont cependant recours que de façon très exceptionnelle.
Nous condamnons sans ambiguïté les actes d’antisémitisme, de racisme, de xénophobie et d’islamophobie, contre lesquels nous luttons sans concession. Il est néanmoins inacceptable que des étudiant-e-s à l’origine de cette mobilisation aient fait l’objet d’une dénonciation publique avant même un examen des faits, alors que plusieurs versions se confrontent et que de nombreux témoignages remettent en question la véracité de certains récits. Communiquer sur les réseaux sociaux la saisine du Procureur de la République, sans aucune mention de la présomption d’innocence, porte atteinte à la sécurité et l’intégrité de nos étudiant-e-s.
Notre direction, à travers ses dernières communications, cède au tribunal médiatique et aux multiples interventions politiques. La venue du Premier ministre et les propos du Président de la République sont des ingérences qui mettent en péril l'autonomie de l'université et la liberté académique.
Nous condamnons par conséquent les mesures engagées contre les étudiant·e·s chargé·e·s de l’organisation de la mobilisation du 12 mars.
Nous soulignons également le silence qui entoure, dans notre institution, les violences subies par le peuple palestinien à Gaza depuis le mois d'octobre, où plus d’enfants ont été tués en quatre mois qu’en quatre ans de conflits dans le monde selon l’ONU.
En tant qu'employé·e·s du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, nous insistons sur les dégâts irréversibles subis par les infrastructures éducatives à Gaza. Dans le secteur de l’éducation primaire et secondaire, aucun enfant n'a pu aller à l'école depuis le 6 novembre, date à laquelle l'année scolaire a été suspendue. Selon des chiffres du ministère de l'éducation palestinien datant de janvier 2024, 4 327 élèves et 231 enseignant·e·s et administrateur·ice·s de l’enseignement primaire et secondaire ont été tué·e·s. Entre-temps, 280 écoles publiques et 65 écoles de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) ont été entièrement ou partiellement détruites. Il semble évident que le nombre de victimes n’a fait qu’augmenter depuis la publication de cet atroce bilan.
Dans le secteur de l'enseignement supérieur, Times Higher Education a rapporté fin décembre que “tous les établissements d'enseignement supérieur de Gaza auraient été détruits ou gravement endommagés depuis le début de l'invasion”. Ces établissements comprennent l'université islamique de Gaza, l'université Al-Azhar, l'université Al-Quds et l'université Al-Israa, cette dernière ayant été détruite lors d'une explosion contrôlée impliquant 315 mines le 17 janvier.
Outre des centaines d'étudiant·e·s, 94 universitaires ont été tué·e·s. Parmi eux, le président de l'université islamique de Gaza, Sufyan Tayeh, tué avec sa famille lors d'une frappe aérienne le 2 décembre, et son prédécesseur, Muhammad Eid Shabir, tué le 14 novembre, avec des membres de sa famille.
En plus des écoles et universités, 207 bâtiments d'importance culturelle ou historique ont été détruits. Parmi les institutions visées figurent la bibliothèque municipale de Gaza, le centre culturel Rashad al-Shawa et les musées de Rafah et d'Al Qarara.
En réponse à cette violence inouïe dont la Cour International de Justice a prévenu en janvier qu’elle pourrait devenir génocidaire, 730 universitaires israéliens ont appelé leur gouvernement à prendre des mesures urgentes contre la famine propagée à Gaza par les actions militaires israéliennes. D’autres, comme Neve Gordon, professeur israélien enseignant à l'université Queen Mary de Londres, ont qualifié la destruction du monde universitaire à Gaza d’ “educide”.
Or, depuis le 8 octobre, et après un message de solidarité avec les victimes israéliennes de l’attaque terroriste atroce du 7 octobre, la Direction de Sciences Po s’est enfoncée dans un mutisme embarrassant. La défense de la liberté académique, dont nous avons fait un de nos axes stratégiques, semble ne plus avoir d’importance lorsqu’il s’agit des Palestiniens.
Sciences Po, du fait de sa visibilité et son prestige, représente une voix importante dans le secteur universitaire international : cette importance implique aussi une grande responsabilité.
Nous appelons ainsi la direction de l’établissement et la présidence de la FNSP à :
- Interrompre les procédures disciplinaires au sujet de l’occupation non autorisée d’un amphithéâtre par des étudiant·e·s mobilisé·e·s le 12 mars ;
- Soutenir psychologiquement, juridiquement et financièrement les étudiant·e·s directement exposé·e·s ;
- Cesser d’entretenir un climat de tension et œuvrer au dialogue et à la discussion, ce qui doit demeurer le rôle principal d’une université ;
- Affirmer notre indépendance institutionnelle face aux pressions politiques, quelles qu’en soient les origines ;
- Condamner la destruction des infrastructures éducatives à Gaza et exprimer sa solidarité avec les élèves et étudiant·e·s palestinien·ne·s empêché·e·s d’étudier par la guerre israélienne à Gaza ;
- Accueillir des scientifiques palestinien·ne·s au même titre que pour d'autres conflits ;
- Mettre en place des collectes d’aide aux victimes.
Liens utiles :
Communiqué de Sud Education appelant à une Assemblée Générale du personnel de Sciences Po le vendredi 22 mars de 13h à 14h30 en salle Jean Moulin pour exiger un cessez-le-feu et une paix juste et durable en Palestine : https://www.instagram.com/p/C4iigRLtYCg/
Pétition initiée par des étudiant·e·s du Master Droits Humains et Action Humanitaire de PSIA : Lien vers la pétition d’étudiant.es de PSIA
Texte cosigné par l’ensemble des doyen·ne·s et directeur·rice·s de centres de recherche et par le DFR : Lien vers le texte des doyen.ne.s et directions de centres de recherche
Pétition d’enseignant·e·s, doctorant·e·s et chercheur·euse·s : Lien vers la pétition
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