Un constat partagé des inégalités et du manque de moyens dans l'orientation post-bac
Le rapport du Comité d’Évaluation et de Contrôle des politiques publiques (20 juin 2023) sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur rappelle des éléments déjà bien connus des recherches et des analyses syndicales, dont celles de SUD-éducation :
- Le foisonnement des acteur-ices de l'orientation avec une place problématique (et croissante) du secteur privé. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 renforce la place des régions dans l'orientation, sans moyens correspondants, ce qui génère de la "sous-traitance" par le privé : coachs, start-ups, salons d'orientation pour la plupart privés, etc.. Les écarts entre régions sont très forts : Auvergne-Rhône-Alpes y consacre un budget de 26,5 M€ contre 1,3M€ en Île-de-France.
- Un écart entre les objectifs "incantatoires" de renforcement de l'orientation et le terrain. Les 54h consacrées à l'orientation ne sont pas financées par les dotations faîtes aux établissements, ce qui se traduit par un accompagnement individuel très inégal des lycéen-nes selon les établissements. Seulement 30% des établissements ont mis en place des professeurs référents (décret n° 2021-954 du 19 juillet 2021), les personnels manquent de formation sur les questions d'orientation malgré le renforcement du rôle des professeurs principaux.
- Le manque de moyens, aussi bien du côté du secondaire que du supérieur. Le rapport pointe la crise des recrutements d'enseignant-es, l'augmentation du nombre d'étudiant-es et la baisse de la dépense par étudiant-e faute de recrutement d'enseignant-es, notamment en licence. Ce contexte joue sur la faible formation des enseignant-es aux enjeux d'orientation, qui nécessiterait de la formation initiale et continue - avec remplacement. On compte 1 Psy-EN pour 1 500 élèves, qui travaillent souvent dans 3 ou 4 établissements en même temps.
- Les inégalités sociales de trajectoire scolaire. Elles articulent inégalités d'apprentissage, et inégalités d'orientation, ces dernières découlant en partie de choix scolaires plus ambitieux - à résultats équivalents - des familles les plus favorisées. Ces inégalités se traduisent par une segmentation sociale et genrée des filières du secondaire comme du supérieur, mais aussi par des différences entre contextes de scolarisation. Dans les zones rurales par exemple, l'orientation en seconde générale est moins fréquente. Le rapport conclut à une "addition de déterminismes".
- Parcoursup. La plateforme génère "stress et angoisse" (p. 100), 30 000 bachelier-es n'ont obtenu aucune proposition en 2022 (soit 5% des candidat-es). Le rapport pointe l'« opacité technocratique » (p. 120) que perçoivent les candidat-es quant au processus de sélection, ce qui invite les rapporteurs à faire les propositions suivantes : rendre la fiche Avenir accessible au-à la candidat-e plus tôt, y supprimer l'avis global sur "la capacité à réussir dans le supérieur" ; retirer les activités extra-scolaires sauf si si celles sont directement en lien avec la formation (sports, arts), questionner la présence du projet motivé et du lycée d'origine pour éviter les discriminations. Le rapport souligne les difficultés des réorienté-es sur la plateforme et l'effet peu significatif des quotas de boursier-es (dont la part baisse dans les écoles d'ingénieurs, classes prépas et écoles de commerce depuis 2016). La question des capacités d'accueil est bien identifiée dans le rapport comme un élément générant de fortes inégalités, ce qui invite à i) cartographier ces filières en tension et recruter des personnels en conséquence, ii) mettre fin à la distinction rhétorique entre formations sélectives et "non sélectives" en obligeant toutes les formations à classer tous les candidat-es (pour éviter que les "sélectives" ne remplissent pas leur capacité d'accueil). Le rapport souligne que Parcoursup est une "vitrine" pour les formations privées dont on peut questionner la qualité.
Sortir des perspectives néo-libérales pour l' "égalité des chances" : transformer l'école !
Malgré ces constats que nous partageons sur les inégalités et le manque de moyens, ce rapport au langage technocratique (continuum bac -3/+3, synergies, écosystèmes d'acteurs, montée en compétences, projets, partenariats...) témoigne d'une approche néo-libérale des trajectoires scolaires. Se centrer sur la question de l'orientation, et de son "importance cardinale" dans l'égalité des chances fait passer au second plan les inégalités d'apprentissage (qui ne sont évoquées qu'une seule fois). Cela invite à se concentrer sur les choix des familles et des élèves, plutôt qu'à travailler sur les effets des institutions sur les inégalités scolaires (conditions matérielles d'apprentissage, mise en concurrence des individus et des établissements, hiérarchisation des cursus, etc.). Le rapport pointe ainsi les difficultés liées aux taux d'encadrement, mais sans remettre en cause la hiérarchisation des filières. Mettre en cause la formation des enseignant-es comme un des éléments centraux des inégalités d'orientation revient aussi à individualiser les enjeux, en masquant le fonctionnement de l'école comme institution reproductrice d'inégalités.
Le rapport s'inscrit enfin dans une perspective adéquationniste qui valorise une continuité entre les parcours scolaires antérieurs et les perspectives futures dans le supérieur, qu'il s'agit de prédire au plus juste en rassemblant des données individuelles. Le programme Avenir-s, mis en place à la rentrée 2024, inspiré de l'approche par compétences et de la théorie du capital humain, proposera ainsi un suivi individuel permettant à chaque élève de « Savoir devenir soi ». Il s'adresse à tous les élèves de la cinquième au bac+2 et leur offre "une plateforme unique d’accompagnement à l’orientation avec un compte personnel, associé à un portfolio de compétences portable vers le passeport de compétences du ministère du travail, et vers un portfolio élaboré pour l’enseignement supérieur.
Pour une université publique, ouverte à toutes et tous, SUD éducation revendique:
- La gratuité de l'enseignement supérieur pour toutes et tous, sans condition de nationalité (abrogation de la plateforme Bienvenue en France)
- La fin de la sélection via Parcoursup et MonMaster qui instaurent une mise en concurrence des candidat-es et des formations, chronophage et angoissante. Les bachelier-es doivent pouvoir s'inscrire dans l'université ou la filière de leur choix et les diplômé-es de licence doivent pouvoir poursuivre leurs études en master.
- Pour cela, il faut une augmentation des capacités d'accueil qui ne peut passer que par l'embauche de plus de 50 000 personnels administratifs et enseignants titulaires dans les prochaines années. Il faudrait près de 30 000 personnels enseignants temps plein dès à présent pour compenser les heures complémentaires et les vacations.
- La construction/rénovation de 10 universités et la réquisition immédiate de locaux vides pour permettre des conditions d'études et de travail décentes.
- L'abandon du Programme Avenirs, pour un accompagnement qui ne soit pas rivé à l'empoyabilité, au fichage et à la compétition entre individus.
- L'augmentation du nombre d'heures de formation initiale et continue des personnels éducatifs concernant les problématiques d'évaluation, de sociologie des inégalités scolaires.
- Une école émancipatrice, polytechnique et polyvalente, sans hiérarchisation des filières.