Le travail en groupe a le vent en poupe : nos inspecteurs et inspectrices nous le recommandent souvent, les salarié·es travaillent en collaboration, on nous invite à travailler avec nos collègues (quand et comment, c’est une autre question…). Pourtant, il reste un axe essentiel des pédagogies coopératives, et peut être un outil pédagogique particulièrement subversif. En effet, travailler à plusieurs, c’est aller à l’encontre de l’individualisation croissante des relations sociales, c’est montrer l’importance du collectif, montrer qu’à plusieurs, on peut aller plus loin. Bref, travailler en groupe dépasse la simple question de la pratique : favoriser ainsi l’entraide en classe permet de rompre avec les conceptions concurrentielles de la réussite scolaire.
Pourquoi le travail de groupe ?
Hormis les raisons politiques émises ci dessus, les travaux de groupe ont également des avantages pédagogiques, dans certaines situations :
Dans des cas d’hétérogénéité marquée dans les classes, le travail de groupe, s’il est organisé en amont et objet d’une pratique réflexive par les élèves eux-mêmes et elles-mêmes peut amplifier les effets du système du tutorat,
La pratique du travail de groupe, aussi bien en classe qu’en dehors, permet ’acquérir l’expérience du travail collectif, ce qui peut sauver l’élève de la pression de la concurrence et des pédagogies de la performance.
Ceci dit, dans les pédagogies coopératives, il faut aussi être attentif et attentive à ce que l’élève reste un individu et pour l’aider à s’émanciper de ce que le groupe peut avoir d’aliénant, il faut parfois le laisser travailler seul·e.
En fait, les travaux de groupe les plus riches ont souvent lieu dans deux types de classes : les classes “autoflagellantes” constituées d’élèves convaincu·es qu’ils et elles ne valent rien et les classes d’élèves “machines scolaires”, où chacun·e bosse pour soi et où le mot “solidarité” ne monte pas à la conscience, constituées d’élèves qui sont là pour réussir au sens le plus élitiste du terme, préparer l’entrée dans la filière qui préparera la prépa qui préparera l’école qui préparera le dominant.
Comment constituer les groupes ?
La chose à ne pas faire : dire aux élèves : « Mettez vous en groupe », leur donner une consigne et attendre.
Plusieurs solutions sont pratiquées :
Laisser les élèves pratiquer les groupes par affinités, c’est intéressant pour les travaux de recherche, de réponse à des consignes, etc. Mais alors il faut garantir le travail de groupe.
On peut constituer les groupes en affinité thématique : en admettant qu’il y ait un certain nombre de choses à produire (des axes de lecture en français, des calculs en physiques, des parties de construction en techno, etc.), on commence par demander aux élèves de réfléchir chacun dans leur coin à la partie qui les intéresse. Dans un deuxième temps, on crée des groupes à partir des centres d’intérêts et les élèves apportent au pot commun ce qu’ils et elles ont trouvé.
Le·la professeur·e peut constituer des groupes de travail durables, par exemple, à partir de domaines de curiosité communs, à partir des disponibilités d’emploi du temps, ou bien en équilibrant à partir des domaines de réussite des élèves, etc.
Attention : ça peut être délicat, il vaut mieux éviter les conflits latents. Pour cela on peut faire un sociogramme : on demande à chaque élève de mettre sur un papier trois personnes avec qui il aimerait bien travailler et trois personnes avec qui il ne voudrait surtout pas travailler. Sur une feuille on dessine les affinités et inimitiés, on obtient assez rapidement des informations précieuses, utiles aussi pour le·la professeur·e principal·e dans le second degré par exemple.
On peut demander aux groupes de définir différents rôles avant de commencer (type maître de parole ou du temps, secrétaire, éventuellement un pilote de groupe, et toute variation sur ces thèmes) : on veille alors à distribuer ou faire écrire une fiche de groupe.
Faire fonctionner le travail en groupe
En général, on craint deux choses : l’hétérogénéité entre les groupes (celui qui a fini avant tout le monde un gros travail et celui qui n’a fait que ricaner) et, à l’intérieur du groupe, le déséquilibre d’investissement entre les élèves. Quelques trucs :
On peut demander aux groupes de définir différents rôles avant de commencer (type maître de parole ou du temps, secrétaire, éventuellement un pilote de groupe, et toute variation sur ces thèmes) :
On définit les rôles nécessaires au bon fonctionnement des groupes en classe entière
On constitue les groupes
On veille alors à distribuer ou faire écrire une fiche de groupe, sur laquelle seront, notamment, marqués les groupes.
On peut aussi pratiquer la trace écrite négociée : le groupe doit rendre une trace écrite qui fait consensus pour l’ensemble de ses membres, a priori, ça nourrit la négociation.
Pour qu’aucun groupe n’ait moins de matière que les autres, on peut mettre en place le système des ambassadeurs :
Chaque groupe nomme un·e ambassadeur·ice
On laisse un temps pour le travail
Ensuite on organise une sorte de speed dating : les ambassadeur·ices changent de table et vont raconter à un autre groupe ce que le leur a produit (on peut faire l’inverse : ilset elles recueillent ce que les groupes ont produit).
Ce système permet de réduire le temps de mise en commun : tous les groupes ont déjà sous les yeux tout ce qui a été produit.
Quand le travail de groupe commence à devenir une habitude (ou dès le départ si on le sent) on peut faire un moment miroir : une partie du travail du groupe consiste à expliquer comment il s’est organisé pour réaliser la tâche.
Les grandes catégories de fonctionnement de groupes
En gros, on peut déterminer trois grandes catégories de fonctionnement, en fonction de la façon dont le travail va apporter des connaissances et des compétences.
Le travail coopératif : le groupe a une tâche commune à réaliser, chaque membre du groupe apporte ses compétences, peut éventuellement se charger seul d’une partie du travail avant mise en commun.
Cette forme est intéressante si on est certain que chaque élève pourra apporter quelque chose, mais elle peut être risquée : si un·e élève ne voit pas ce qu’il ou elle peut apporter, il sera renforcé dans son autodéligitimation.
Il faut donc préparer ce genre d’activité en amont. Un exemple : on peut l’utiliser pour faire mouvoir les groupes, dans un travail proche du marché des connaissances : c’est le cas dans le fonctionnement par ambassadeur·ices. Cette forme est précieuse : comme on ne peut pas attribuer à tel ou tel groupe la réussite, on peut revenir sur l’intérêt du travail collectif en lui-même.
Le travail collaboratif : le groupe a une tâche commune mais tous ses membres travaillent ensemble et élaborent conjointement les compétences et connaissances nécessaires à la réalisation de la tâche.
Dans ce cas il faut être attentif à ce que chacun·e dans le groupe participe au travail, paradoxalement en effet, celui qui ne fait rien a la position la plus inconfortable et vit un autorenforcement du même type que s’il n’a pas de compétence à apporter dans le travail coopératif.
C’est là que la nécessité d’un travail réflexif se fait jour : on peut proposer aux élèves une fiche de groupe, dans laquelle ils doivent préciser qui a fait quoi, Cette fiche permet aussi de renforcer le groupe en lui donnant les moyens de personnaliser leur collectif, par exemple en baptisant leur groupe au lieu de le numéroter.
Le travail mutuel : un ou plusieurs membres du groupe disposent des connaissances et des compétences, ilelles doivent les transmettre au reste du groupe (piste pour le tutorat entre pairs par exemple).
Place du travail de groupe dans le fonctionnement de la classe
Il existe plein de manières d’insérer un travail de groupes dans le fonctionnement traditionnel.
Le travail de groupe intégral : une tâche doit être accomplie par les groupes de A à Z. A partir d’une consigne, chaque groupe travaille indépendamment des autres et rend un travail fini.
Le travail de groupe coopératif : on a un objectif commun à toute la classe, on répartit des parties de l’objectif aux groupes puis on fait une mise en commun. C’est typiquement le cas des exposés : imaginons qu’on veuille étudier des dieux et déesses grec·ques, chaque groupe présentera une figure mais à la fin on aura un beau Mont Olympe.
Le travail de conférence (ou 1 – 4 – tout le monde) : on se fixe un objectif commun. Pour commencer, chacun doit y apporter sa pierre en travaillant seul soit sur l’objectif global soit sur une partie de celui-ci. Au bout d’un moment, on constitue des groupes (par exemple de 4) qui doivent faire une première mise en commun. Ensuite les groupes nomment des délégués qui viennent présenter à la classe entière le travail effectué et on met tout au pot commun.
Dans une pédagogie émancipatrice, toutes ces pratiques poursuivent un double objectif : casser le fonctionnement individuel et concurrentiel de l’enseignement frontal pour créer des mécanismes de solidarité et montrer, dans le même temps, que l’autonomie de l’individu passe par des expériences collectives. C’est pour ça que les solutions dans lesquelles les groupes sont mouvants sont souvent les plus riches : à la fin tout le monde a travaillé avec tout le monde et le résultat est réellement collectif : personne ne peut s’approprier à lui seul ce brillant travail, par contre chacun se l’approprie activement, à sa manière.
Et les groupes de niveaux ?
Une question se pose toujours lors d'une séance de travail en groupe, c'est le problème des différence de niveau entre les élèves d'une même classe.
Il arrive que seul l'élève qui est le plus "compétent" dans le domaine qui constitue le sujet de la séance de travail en groupe soit le seul à travailler. Ce qui a pour conséquence évidemment que l'élève (ou les élèves) moins "compétents" ne fassent aucun progrès.
Une réponse, très partielle à ce problème est la constitution, avec parcimonie, et seulement quand c'est pertinent, de groupes de niveau, par exemple des groupes de remédiation.
Un exemple,en physique-chimie : se pose la question de faire acquérir aux élèves la "technique" d'équilibrage des bilans de réaction chimique. Cette technique suppose d'avoir acquis 3 ou 4 connaissances différentes. On peut expliquer, en frontal, la technique en détaillant les 3 ou 4 connaissances puis on fait faire quelques exercices à toute la classe, puis un test ( sans noter évidemment) qui permet de détecter quelle est la connaissance sur laquelle chaque élève bloque. On peut alors faire des groupes de niveau où chaque élève travaille la connaissance qu'il n'a pas acquise.
Le niveau, kesako ?
Mais en fait, il faut s’entendre sur la notion de «niveau». Dans cet exemple il ne s’agit pas de niveau mais de compétences : la création de groupes de compétences avec pour objectif ce qu’on appelle la remédiation a fait ses preuves. Ceci dit il faudra faire attention de ne pas enfermer les élèves dans le cadre de la réalisation de tâches déterminées (grosso modo, celles qu’on retrouve dans les évaluations), c’est là la pratique proposée par les pédagogies dites explicites, qui fonctionnent dans un cadre restreint, celui d’une forme scolaire admise comme pertinente.
En fait on revoit là l’intérêt de la notion de compétence telle qu’elle a été définie par Olivier Reboul d’abord puis reprise dans la charte des programmes du Conseil Supérieur des Programmes de 2013 : une compétence, c’est quelque chose (savoir-faire, savoir) que l’élève à acquis et qui est transférable dans les autres disciplines. A ce titre, un travail collectif enseignants pour déterminer une série de compétences à acquérir permettrait effectivement de faire des groupes de travail d’élèves à partir des compétences en question.
Pour ce qui est des groupes de niveaux, la question est très discutée. On sait en gros qu’un écart de « niveau » trop important va probablement nuire à l’efficacité du travail. En revanche un groupe trop homogène risque de faire stagner chaque élève. Une solution est – comme souvent – de faire confiance aux élèves pour constituer intelligemment les groupes : en leur expliquant précisément les enjeux, on peut faire avec eux ce qu’on appelle un sociogramme.
Dans un premier temps, on demande aux élèves de répondre sur un petit papier à deux questions : quels sont les trois élèves avec lesquels je voudrais travailler et les trois avec lesquels je ne voudrais surtout pas travailler (3 étant un maximum, pas une obligation) ? Cela permet de tracer un schéma des relations dans la classe (très utile pour un PP) et de constituer les groupes à partir de ce schéma, en général les élèves sont conscients à la fois de leur besoin de bien s’entendre avec leur groupe et d’avoir dans ce groupe quelqu’un qui paraissent plus « brillant ». Deux contraintes toutefois : les groupes doivent être négociés au départ (on les propose et on demande si des changements sont nécessaires), ils doivent être présentés comme non figés : tout élève sait qu’il peut à tout moment demander à changer de groupe.